Bureau du Vérificateur Général 2003-2023 : 20 ans de contribution pertinente à la lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière.

A l’occasion du 20ème anniversaire de la création du Bureau du Vérificateur Général du Mali, M. Sidi Sosso Diarra (2003-2011), M. Amadou Ousmane Touré (2011-2018) et M. Samba Alhamdou BABY, premier, deuxième et troisième Vérificateur Général, se sont confiés sur les faits marquants de leur mandat respectif.


Monsieur Sidi Soso Diarra, 1er Vérificateur Général 

« La corruption, la mauvaise gestion, la mauvaise gouvernance et la dilapidation des ressources publiques, c’est vraiment la pire chose qui puisse arriver à un pays. »

Parlez-nous de votre mandat et des principaux résultats atteints.

Sidi Soso Diarra : Déjà, il faut dire que nous sommes partis de rien. Le jour où j’ai été désigné, le Bureau du Vérificateur Général n’existait pas, on n’avait pas de bureau et aucun effectif n’existait en termes de personnel. Durant mon mandat, il y a 3 domaines principaux qu’il a fallu couvrir. D’abord, c’est l’organisation de l’environnement de travail : trouver les locaux, les équiper et avoir toute la logistique nécessaire ; recruter du personnel qualifié ; mettre en place un environnement informatique et la communication. A la fin de mon mandat, on avait un effectif de 100 personnes avec 44% dédiées au personnel de vérification et 56% au personnel d’appui. On a pu construire un siège et acquérir un outil informatique et de communication efficace.

Au cours de votre mandat, quelles étaient les difficultés de départ ? Lesquelles ont été résolues ?

Sidi Soso Diarra : On en a eu beaucoup. Il faut dire que de façon générale, quelqu’un qui vient pour contrôler n’est jamais accueilli à bras ouverts. Avec l’administration en particulier, nous avons eu pas mal de problème. Déjà, en tant qu’autorité administrative indépendante, il a fallu affirmer notre autonomie en matière de gestion financière et de gestion des missions. Ça, ç’a été une longue bataille avec l’administration. Ensuite, il y a eu à l’époque un blocage de la part, notamment de la Direction Générale des Impôts, de la Direction Générale des Douanes et aussi avec des organismes comme BIVAC qui devait contrôler les importations de marchandises. Vous savez, avec l’évolution, l’environnement du contrôle a changé. Autrefois, on avait recours aux dossiers sur support papier alors que maintenant on procède à des échantillonnages sur des fichiers. L’accès aux données a été très, très, difficile. Le Bureau a pu résoudre le problème.

Dans l’application du principe du contradictoire, des problèmes ont surgi. Ce principe veut qu’avant de mettre le résultat des travaux dans un rapport, il faut s’assurer qu’on est bien en phase avec ceux qui sont contrôlés. Il y a un processus à mettre en place pour soumettre les résultats à l’entité contrôlée, lui donner un délai pour produire ses réponses et discuter de ces réponses-là et publier le rapport en tenant compte des points sur lesquels nous sommes d’accord.  Ce processus a été très difficile à faire aboutir, car des entités ont cherché à le retarder ou à l’entraver.  On nous communiquait des informations bien après le départ des équipes de vérification, souvent après que le rapport soit rédigé. Cet aspect aussi a été réglé.

Enfin, par rapport au secteur privé et au paiement de la TVA qui est une source de revenus importante pour l’Etat, le Bureau a voulu faire le point des pertes éventuelles de l’Etat par an. Les acteurs du secteur privé nous ont accueillis très froidement. Nous avons ouvert un dialogue avec le Conseil national du patronat et la Chambre du commerce du Mali. Au finish, disons que la mission a pu être effectuée en bonne partie.

Toutes les difficultés, qui étaient liées à l’organisation du travail ont pu avoir un début de réponses. Celles liées aux questions de principe comme l’opposition du secteur privé à un contrôle du Bureau sur des activités en lien avec les ressources publiques prennent du temps pour leur résolution.

Quel regard portez-vous sur la lutte contre la corruption et la délinquance financière au Mali ? Que gagnerait le pays en les circonscrivant ?

Sidi Soso Diarra : Je pense que le travail de sensibilisation doit se poursuivre au niveau de l’enseignement qu’on donne aux enfants. Peut-être que dans le cursus, il faut introduire des modules pour inculquer le respect de la chose publique. C’est vraiment, de mon point de vue, un problème très grave. Si vous regardez les potentialités qui existent au Mali aujourd’hui par rapport à la population du pays, normalement, on ne doit pas être classé parmi les pays pauvres. Je maintiens cela ! Si tout était utilisé à bon escient, l’état du pays ne serait pas du tout ce qu’on connaît. Quand je regarde le classement du Mali en termes de revenus par habitant, franchement, ça me fait mal. On a suffisamment de ressources pour vivre mieux que ça. La corruption, la mauvaise gestion, la mauvaise gouvernance et la dilapidation des ressources publiques, c’est vraiment la pire chose qui puisse arriver à un pays. On ne peut y mettre fin totalement, mais pour le Mali, il urge de diminuer de façon drastique le niveau de dégradation dans ce domaine-là.

Avez-vous un dernier mot ?

Sidi Soso Diarra : L’arrivée du Bureau du Vérificateur Général a été une étape importante pour le Mali dans la lutte contre la mauvaise gouvernance et à la mauvaise gestion. D’abord, par rapport au public, les gens ont compris que le contrôle pouvait avoir une dimension efficace parce qu’avant, les départements ministériels faisaient leurs missions de contrôle, mais les résultats n’allaient jamais au-delà dudit département. Avec l’arrivée du Bureau, et du fait qu’il est une structure autonome, qui soit indépendante dans le choix des missions et qui ait une liberté totale dans la diffusion des résultats des vérifications, cela a été une avancée importante, ça a favorisé la prise de conscience du public sur les problèmes de gestion des deniers publics. Cala a augmenté l’imputabilité des dirigeants. Maintenant, chacun se sent redevable vis-à-vis des contribuables.


Monsieur Amadou Ousmane Touré, 2ème Vérificateur Général

« Le Bureau a beaucoup travaillé dans le cadre de la promotion de la bonne gouvernance, il a beaucoup travaillé dans le cadre de l’amélioration des pratiques professionnelles au niveau de plusieurs structures de l’Etat »

Parlez-nous de votre mandat et des principaux résultats atteints.

Amadou Ousmane Touré : J’ai eu l’honneur de diriger cette prestigieuse institution, cette grande autorité administrative indépendante, première du genre en Afrique de l’Ouest, je dirais même presque en Afrique, d’avril 2011 à avril 2018. J’étais ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire, j’ai candidaté pour cette fonction, j’ai été retenu, j’ai prêté serment et j’ai eu à exercer ces fonctions exaltantes, passionnantes de Vérificateur Général du Mali pendant 7 ans. Je dirai simplement que ce parcours a été des difficultés, des échecs, mais aussi des réussites et, souvent, de l’optimisme, de la spontanéité. C’est tout ceci qui a fait que le Bureau a été enrichissant. Le Bureau a été une passion, une grande vision pour moi. Je suis heureux de compter dans tous les cas de figure, parmi ceux qui auront constitué le patrimoine de cette institution. J’en suis très content parce que, par rapport aux objectifs de bonne gouvernance, j’ai pu, de la manière la meilleure qui soit, me rendre utile à la nation, à la bonne gouvernance qui est l’objectif final recherché dans l’action du Bureau du Vérificateur Général.

Au cours de votre mandat, quelles étaient les difficultés de départ ? Lesquelles ont été résolues ?

Amadou Ousmane Touré : Il y a eu de nombreuses difficultés tant à l’interne du Bureau lui-même qu’à l’externe. D’abord, les premières difficultés ont été celles de rechercher, soutenir, surtout convaincre de l’accompagnement indispensable des acteurs de la justice à l’action menée par le Bureau. C’est une synergie d’actions de l’ensemble des acteurs, de l’opinion publique, des structures de contrôle, de la société civile, des partis politiques, des gouvernants et des gouvernés qui peut amener à avoir une société fortement moralisée. La moralisation de la vie publique, la moralisation de la vie politique, ça prend du chemin. Le Bureau est fait pour toutes les compétences et doit avoir à sa tête un homme qui puisse diriger ces compétences. On n’a pas besoin d’un expert-comptable, d’un magistrat hors classe … pour diriger ce Bureau. C’est un grand groupe, un phalanstère, vraiment un grand phalanstère de compétences qu’il faut mettre ensemble pour aller chercher un résultat. Ça aussi, c’est une difficulté. Mais, aussi, il y a eu des moments de bonheur, des moments de joie quand on sait que par la pédagogie qu’on a su imprimer à notre action les services publics ont compris, ont collaboré, car l’un des buts est que l’entité auditée participe à la vérification afin qu’elle comprenne que cette vérification est faite pour son propre bien-être, que les recommandations qui sont faites sont pour améliorer le rendement, la performance ! Ces recommandations sont faites pour un bon usage, un bon emploi des fonds publics afin de plus d’efficacité, d’efficience, d’économie, et à terme, au bien-être général.

Quel regard portez-vous sur la lutte contre la corruption et la délinquance financière au Mali ? Que gagnerait le pays en les circonscrivant ?

Amadou Ousmane Touré : Je suis loin depuis déjà 6 ans des statistiques. Je n’ai pas de données fiables et sincères pour vous dire qu’il y a une tendance haussière ou une tendance baissière. Cependant, je confirme que c’est une action quotidienne que chacun devrait mener à son propre niveau.

Avez-vous un dernier mot ?

Amadou Ousmane Touré : Honnêtement, je trouve que l’initiative, elle est très bonne, elle est très heureuse. D’abord, sur le plan de la communication, il est bon aujourd’hui de fêter, de célébrer ces 20 ans du Bureau. Et, si on pouvait, de façon objective, de façon cohérente, de façon honnête intellectuellement, faire une évaluation de l’action du Bureau, personnellement, je puis dire que le Bureau a beaucoup travaillé dans le cadre de la promotion de la bonne gouvernance, il a beaucoup travaillé dans le cadre de l’amélioration des pratiques professionnelles au niveau de plusieurs structures de l’Etat. M. Diarra qui m’a précédé a produit plusieurs rapports, j’en ai produit également des centaines, et des centaines sont en train d’être produits. Si nous faisons la synthèse pour évaluer l’impact de ces rapports de vérification au niveau des services publics, j’avoue sincèrement que ç’a été bénéfique ! Le Bureau pour moi a fait un bon travail. Il reste à continuer pour que le travail soit excellent.


Monsieur Samba Alhamdou BABY, actuel Vérificateur Général

« D’avril 2018, début de mon mandat à ce jour, d’importants résultats ont été atteints, notamment en matière de consolidation des acquis et d’innovations. » 

Parlez-nous de votre mandat et des principaux résultats atteints.

Samba Alhamdou Baby : Avant de répondre à votre question, j’aimerais remercier le 1er Vérificateur Général et le 2ème Vérificateur Général qui ont bien voulu se soumettre à cet exercice.

D’avril 2018, début de mon mandat à ce jour, d’importants résultats ont été atteints, notamment en matière de consolidation des acquis et d’innovations.

En termes de consolidation des acquis, mon équipe et moi avons pu préserver et renforcer l’organisation du Bureau en vue d’avoir une plus grande fluidité dans notre travail, impulser plus de qualité et nous inspirer des bonnes pratiques en matière de vérification, renforcer l’Audit interne en l’orientant sur les deux dimensions de l’assurance et du conseil et améliorer les outils méthodologiques : manuels et guides de vérification. Nous avons aussi pu élargir l’éventail des vérifications et augmenter son nombre annuel, renforcer les rapports avec les autorités judiciaires et la société civile, renforcer et diversifier la coopération avec les Partenaires Techniques et Financiers, et obtenir la relecture de la loi instituant le Vérificateur Général afin de mieux cadrer nos activités avec les évolutions institutionnelles tout en préservant la spécificité du BVG.                    

Pour ce qui est des innovations les plus importantes, je peux citer : l’élaboration d’outils méthodologiques d’Evaluation des Politiques publiques et la conduite de 4 missions d’EPP ; l’implémentation de nouveaux projets informatiques pour appuyer les fonctions supports du Bureau ; la conduite systématique de missions de vérification de suivi des recommandations en ramenant le délai à un an après la vérification initiale, et la relecture du Manuel de procédures opérationnelles, administratives, financières et comptables du BVG. Il y a aussi la publication systématique des rapports individuels sur notre site WEB,  la transmission systématique des dossiers de faits susceptibles de constituer des infractions à la législation budgétaire et financière à la Section des Comptes de la Cour Suprême, ainsi que les dénonciations des faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale aux Procureurs de la République chargés des pôles économiques et financiers compétents, l’établissement d’une synergie entre le Bureau et les autorités judiciaires impliquant la Direction générale du Contentieux de l’Etat ; la signature d’un accord de collaboration avec l’Ecole Nationale d’Administration publique (ENAP) du Canada et d’un accord de coopération technique avec l’Office de l’Auditeur Général du Rwanda.

Au cours de votre mandat, quelles étaient les difficultés de départ ? Lesquelles ont été résolues ?

Samba Alhamdou Baby : Les difficultés les plus importantes ont concerné l’écriture des rapports individuels en tenant compte des impératifs de l’évolution des normes d’audit et de la relecture de la loi instituant le Vérificateur Général et la publication systématique de tous les rapports individuels de vérification et d’évaluation des politiques publiques sur le site WEB du Bureau pour que l’opinion publique en soit informée à temps.      

Quel regard portez-vous sur la lutte contre la corruption et la délinquance financière au Mali ? Que gagnerait le pays en les circonscrivant ?

Samba Alhamdou Baby : La corruption est un fléau social qui gangrène l’économie de notre pays et sclérose son développement.  Il faut y engager une lutte implacable et de longue haleine avec le concours de toutes les composantes de la société. Les sommes mises en cause auraient pu contribuer au développement harmonieux et efficace de notre pays.

Avez-vous un dernier mot ?

Samba Alhamdou Baby : Je voudrais particulièrement saluer les actions salvatrices engagées par les plus hautes autorités de notre pays dans ce domaine; les remercier pour leur accompagnement constant et multiforme et pour la consécration du BVG comme Autorité administrative indépendante de vérification et de contrôle dans la Constitution. Je salue également la synergie d’actions entre le Bureau, les autorités judiciaires et la société civile. Je voudrais enfin remercier l’ensemble des PTF qui nous appuient. Je reste convaincu qu’à ce rythme, les efforts feront tache d’huile. InchAllah !

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